« Dans le milieu de l’art, les femmes gagnent du terrain »
J'ai grandi dans une famille qui n'avait pas de complexe par rapport au sexe féminin. J'ai été élevée comme un garçon. J'ai toujours fait ce qui me passionnait sans que mes parents ne me briment parce que je suis une femme. J'ai fait mes premiers pas en journalisme en 1996 en tant que journaliste à “la Vie Eco”. C'était une époque où la presse se féminisait, spécialement dans le domaine de la culture. Par la suite, j'ai intégré la jeune équipe du magazine “Le Journal hebdomadaire”, j'y suis restée un an. Mon départ a été précipité par les prises de position du magazine qui était dans une dynamique politique de libération de la presse et je n'ai pas voulu faire partie de cette aventure. J'étais enceinte et je ne suis pas issue d'une culture militante, ce n'est pas mon combat.
C'est difficile à comprendre, on m'avait proposé de travailler en relation presse à l'ONA, finalement je me suis retrouvée à faire de la communication interne avec peu de responsabilités. Je venais d'arrêter de travailler pour le Journal où je dirigeais la rubrique culture, j'avais une audience, une liberté totale et je me retrouvais dans un cadre makhzenien. J'ai quitté l'ONA pour m'installer à El Jadida pour des raisons familiales. Je me suis mise à mon compte pour faire de la création de contenu pour entreprise. J'ai réalisé les journaux de beaucoup d'entreprises dont l'OCP (Office Chérifien des Phosphates, ndlr), la Société Générale du Maroc, la BMCI.
J'ai aussi collaboré avec Hicham Daoudi, à l'époque il montait sa maison de vente aux enchères. Et c'est à ce moment là où il m'a proposé de réaliser un magazine d'art. Comme j'habitais à El Jadida et que je n'étais pas disposée à retourner à Casablanca, j'ai préféré décliner. En 2008, je suis retournée à Casablanca et c'est à ce moment là où nous avons commencé à travailler sur Diptyk, premier magazine francophone dédié à l'art contemporain du monde arabe et de l'Afrique. Le premier numéro a été édité en 2009.
C'est un domaine difficile mais nous avons eu de la chance. Grâce aux connexions de Hicham Daoudi dans le monde de l'art au Maroc -si on peut l'appeler ainsi parce qu'à l'époque il n'y avait pas de musées, ni de grandes structures dédiées à l'art- nous avons été embarqués dans une dynamique intéressante. Je me rappelle à nos débuts, nous avions du mal à remplir les pages du magazine, parce qu'il ne se passait pas grand chose au Maroc. Aujourd'hui, les choses ont changé : la scène s'est structurée, nous avons révélé plusieurs artistes contemporains (mention spéciale pour Syham Weigant, journaliste à Diptyk), on a écrit des textes fondateurs sur plusieurs artistes comme Mustapha Akrim, Younes Baba-Ali, Yadidi...Mais avec toute la bonne volonté du monde, nous avons toujours un sérieux problème de lectorat. Je vous donne un exemple : le magazine était à 50 dirhams, on a baissé le prix à 35 dirhams pour qu'il soit accessible à tous, mais ce n'est pas pour autant que les gens l'ont acheté. Les moins de 35 ans n'achètent pas le magazine. Et je tiens à dire aussi que je ne gagne pas un centime dans cette affaire. On me fait constamment des propositions pour devenir intervenant marchand mais je refuse de le faire car ce n'est pas mon métier.
C'est un magazine qui vit grâce aux recettes publicitaires. Nous avons le soutien de quelques institutionnels comme la Fondation CDG, la Fondation Attijari, la Société Générale ou encore la fondation Alliances quand ils ont un programme. Il y a les galeries comme l'Atelier 21, la galerie Loft. Il y a aussi les galeries et fondations qui estiment que c'est plus simple de mettre un quatre par trois à quelques pas de leurs espaces...Ce magazine m'appartient, je ne fais pas partie des magnas de la presse et malgré cela, je ne flanche pas. Diptyk a une ligne directrice claire, celle d'être un magazine pointu qui documente une scène artistique contemporaine. Cela ne nous empêche pas de faire des papiers bankables.
J'ai été assez protégée dans mon parcours professionnel car j'ai opéré dans des milieux où il n'y avait pas d'animosité homme/femme. Dans le milieu de l'art, par contre, je trouve que les femmes sont sous représentées.
Meryem Sebti
Vit à Casablanca
Profession : Co-fondatrice du magazine Diptyk