Meryem Jazouli

Visage du Maroc
Jul 11, 2016

« D’aussi loin que je me souvienne, la danse a toujours fait partie de ma vie. »

Quand on passe au crible votre parcours, on comprend de facto que la danse est avant tout une passion, une expression. Pouvez-vous nous parler de vos débuts ?

D’aussi loin que je me souvienne, la danse a toujours ( d’une manière ou d’une autre ) fait partie de ma vie. Beaucoup plus jeune , je ne savais pas qu’on pouvait en faire son métier. Disons simplement que le jour où j’ai compris que c’était possible, je me suis engouffrée dans cette voie...

Je suis partie, après avoir eu mon bac, faire des études et une formation en danse, j’ai passé mes diplômes d’état pour pouvoir enseigner, j’ai travaillé dans des compagnies de danse en tant qu’interprète, et après environ 10 années de ce régime là j’ai décidé de rentrer m’installer au Maroc.

Est ce que vous pouvez nous parler de votre expérience en tant qu’enseignante ?

A l’époque pour pouvoir « vivre de son art » et garantir son indépendance économique il fallait enseigner. D’abord parce que c’était les débuts. Je sortais tout juste de l’école de formation et avec les amis de promo nous étions dans une dynamique où la seule chose qui nous importait était de danser... Nous avions besoin d’être constamment en mouvement...

Cela voulait dire travailler avec des chorégraphes, des compagnies, cela voulait dire aussi développer ses propres projets ou participer à ceux d’ami(e)s de promo, bref, beaucoup de choses que nous faisions quasi-bénévolement. Nous ne nous embarrassions pas d’autres obligations que celles de danser, créer, collaborer. Et puis à l’époque les choses étaient plus simples à enclencher en terme de disponibilités, de lieux, de temps... De manière un peu romanesque et nostalgique disons que c’était une période où tout était beaucoup plus simple en terme de possibles.

Et pour en revenir à la question posée, la transmission était au cœur de tout processus, il s’agissait d’apprendre des autres, d’apprendre aux autres et avec les autres. Nous étions extrêmement sensibles et sensibilisés à toutes les manières de transmettre. Par l’observation, l’expérimentation, le dialogue, etc, nous apprenions à être à l’écoute de tout ce qui pouvait nourrir notre imaginaire, notre créativité et notre humanité...

En 1995, vous décidez de vous réinstaller au Maroc, pourquoi revenir ?

Au début le retour n’a pas vraiment été un choix facile... Et puis progressivement j’ai eu l’envie de retrouver mes racines, ma culture, l’envie de construire des choses ici , même si je ne savais absolument pas à quoi m’attendre en terme de vie culturelle et de milieu artistique.

Ça m’a obligé à déplacer voire bousculer mes repères, mes habitudes et à confronter mon travail à de nouveaux éléments. Je suis devenue rapidement très curieuse de ce « nouveau » contexte et emballée par l’idée de travailler à partir d’un territoire, qu’au final je découvrais. Il faut dire que je revenais avec une dizaine d’années de plus et des perspectives encore floues... Et puis à cette époque le paysage de la danse et en particulier de la danse contemporaine était quasi inexistant et mise à part Lahcen Zinoun , il n’y avait pas de chorégraphes marocains...

Ça m’a d’autant plus motivé à partager mon expérience et à « construire » des espaces où je pouvais rencontrer et faire découvrir ma pratique à des plus jeunes. C’était donc et logiquement des années où j’ai surtout œuvré dans le champs de la transmission.

Et puis j’ai pris le temps de connaitre un peu mieux la scène artistique marocaine et casablancaise en particulier, et ça a été des années très riches en terme de rencontres, d’exploration et de formation...

Puis les années 2000 sont arrivées et avec elles tout un élan créatif, inventif avec tout un champ de possibles... C’était un véritable tournant, porteur de nouvelles écritures en rupture totale avec ce qui avait pu exister.

C’est à ce moment-là que des dynamiques de proximité ont commencé à être inventées, un travail de sensibilisation et médiation auprès des publics a été abordé, des collaborations tout à fait improbables ont été amorcées .On sentait et de manière générale une grande vague de liberté, une dynamique puissante et novatrice, des alliances et des envies communes à inventer, élaborer et participer à la construction d’un paysage culturel . Toute  une période qui s’inscrivait dans le changement et je me souviens très précisément de cette période car elle était aussi motivée par une réflexion de sens. On  commençait à se détacher du modèle occidentale et de ses attentes pour trouver la singularité de nos expressions, de nos mots et  du ton qu’on avait envie de donner à tout ça. Beaucoup de choses devenaient possibles et ce fut une période extrêmement productive et structurante... qui a inscrit de manière définitive la culture comme un moyen possible et nécessaire pour faire société...

Est ce que vous présentiez vos spectacles au Maroc ou à l’Etranger ?

Les lieux susceptibles d’accueillir des créations de danse étaient et restent encore très rares à Casablanca. Disons qu’une fois le réseau des instituts français épuisé, il n’existe plus vraiment de théâtre avec un travail de programmation. Alors effectivement je présente un peu plus mon travail à l’étranger qu’au Maroc et ce notamment depuis la création du festival « On marche » à Marrakech qui est une formidable plateforme de visibilité pour les chorégraphes marocains .

Cette plateforme a donné l’occasion à des programmateurs et professionnels internationaux de rencontrer le travail des chorégraphes marocains et a suscité un intérêt durable envers la création marocaine et la scène artistique locale.

Vous avez décidé de créer l’espace de danse contemporaine Darja en 2011. Est ce que vous pouvez nous parler de la genèse de ce projet ?

L’espace Darja existait déjà avant, mais disons qu’à partir de 2011 et avec un nouveau lieu situé en plein cœur de Casablanca, j’ai eu l’envie de « penser » un Darja avec une ligne artistique qui permettait de créer plus de lien et qui s’ouvrirait au champ de l’expérimentation, de la recherche, de la création et de la transmission. Je voulais construire un projet qui participe à la vie culturelle de Casablanca et à une dynamique locale, régionale et internationale et qui soit un projet indépendant, inclusif, accessible, source de curiosité, de rencontre, d’ouverture, d’expérience, de dialogue et de réflexion... Je me rends compte que c’est un projet ambitieux de par ses intentions...

Pourquoi vous avez eu l’envie d’entreprendre dans l’univers de la création chorégraphique ?

Pour moi c’est un espace absolument fondateur . C’est à l’endroit de la création que se concentre toute la matière poétique, sensible et artistique... et je ne fais rien d’autre que tenter de rendre compte artistiquement d’une certaine réalité en proposant ma propre vision des choses... Et puis j’avais l’envie de mettre en scène, de me confronter aux questions liés à l’espace, au son, à la lumière et d’explorer et approfondir tout ce qui était de l’ordre de l’interprétation. C’est pour toutes ces raisons et j’en oublie certainement, que Je me suis orientée avec beaucoup d’appétit vers la création chorégraphique . Il y a aussi le fait que je n’avais pas non plus envie d’attendre que quelqu’un me propose de faire partie d’un projet de création... Je cherchais à trouver un espace libre et vaste pour « activer » d’autres dimensions, vers des territoires nouveaux, inconnus qui permettent d’amplifier de démultiplier le rapport au sensible...

Quelles sont les entraves auxquelles vous avez fait face au cours de de la création de Darja en particulier et dans votre parcours en général ?

Alors concernant Darja c’est essentiellement d’un point de vue économique que l’exercice est périlleux. Pouvoir se projeter et imaginer le projet à moyen terme et idéalement à long terme permettrait de tisser encore plus de liens avec des artistes, des publics, des structures etc. Cela nous permettrait aussi de faire profiter de jeunes associations d’une dynamique qui commence à porter ses fruits car nous aurions  plus de temps à consacrer au travail de terrain plutôt qu’à la recherche de fonds. En plus, toutes les actions portées par L’espace Darja sont gratuites et cela suppose encore plus de temps consacré à la production des projets... Heureusement, l’intérêt grandissant des jeunes pour la danse contemporaine , l’intérêt des programmateurs et festivals internationaux pour la création marocaine, et l’enthousiasme que nous rencontrons dans nos projets nous donnent suffisamment d’énergie pour avoir l’envie de continuer à défendre cet espace.

En résumé je dirai que beaucoup des entraves que nous subissons de manière générale sont d’ordre structurelle et que c’est aussi par le travail, la présence et l’engagement des artistes et acteurs culturels que nous arriverons (je l’espère) à changer cette tendance.

Estimez vous qu’il y a une différence de traitement de la femme et de l’homme dans le monde de la danse contemporaine ?

Je préfère essayer de répondre à cette question d’une autre manière car je pense que pour l’instant et tant qu’il n’existe pas de lieux, d’ institutions (avec un véritable travail de direction artistique) et qui nous permettrait de voir concrètement s’il y a autant de femmes que d’hommes à la tête de ces espaces- là, le reste est pour moi plutôt de l’ordre de l’anecdotique.

Maintenant, en terme de construction mentale et sociale, la danse n’étant pas perçue comme une option et un débouché professionnel, il est autant difficile pour les filles de défendre ce choix que pour les garçons de l’assumer... Mais les choses évoluent et je constate que les jeunes sont de plus en plus déterminés. Ils trouvent dans la pratique de la danse contemporaine une liberté d’expression et d’être qui leur donne la force nécessaire de s’engager dans cette voie-là.

Pour moi et véritablement, la seule chose à défendre est de l’ordre de la singularité des artistes et de leur proportion à interroger, déplacer et produire des espaces sensibles par leur travail artistique, leur engagement et leur sens critique...

En Bref

Meryem Jazouli

Née le 18 Décembre 1968

À Rabat

Vit à Casablanca

Profession : Fondatrice de l'espace de danse contemporaine Darja - Danseuse chorégraphe

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